Compte- rendu Diagonale des fous 19-22 octobre 2023 – Officiel 168 Km – 10 370 m dénivelé
Comme toujours l’effet de groupe a un effet d’entrainement vertueux. L’ultra ce n’est pas trop mon truc mais je me suis toujours dit que si un jour j’en faisais un ce serait la Diagonale.
Octobre 2022 Yasmine, Nathalie, Antoine et Céline reviennent enthousiastes du Zembrocal, le relais à 4 qui suit en grande partie le parcours de la Diagonale. Tout cela me parait assez lointain et puis fin décembre, X Run met en place la possibilité de partir à la Réunion et de sécuriser un dossard. Une occasion unique 1) de vivre des aventures ensemble 2) d’accéder à cette course sans tous les aléas du site internet…J’hésite beaucoup sur la distance et suis plus tôt partie sur la Mascareignes mais mon mari me pousse en disant qu’il viendra et fera l’assistance mais … uniquement si c’est la Diag !
Les mois de janvier à mars sont compliqués car je suis très désorientée en matière de préparation. Je comprends que les grands principes d’entrainement sont 1) de courir lentement au cardio à 130-140 bpm 2) d’apprendre à marcher 3) de faire du dénivelé dont des escaliers, une démarche très loin de mes repères habituels moi qui aime courir au seuil et les relances ! Je fais l’écotrail 45k en mars et là, au bout de 15k m’étant calé sur mes temps d’il y a 4 ans j’explose rapidement, je n’ai plus de vitesse dans les jambes !
Cette course ratée m’amène à deux conclusions 1) l’acceptation : la diag est hors norme et tu t’entraineras comme tu pourras en tenant compte des paramètres d’à côté travail prenant, enfants, coupure avec au mois d’avril 15 jours au Japon en famille ou 3 jours à Ibiza la semaine avant la Maxi Race avec ma meilleure copine ! 2) partir lentement et au cardio : je ferai mienne cette phrase d’Antoine Guillon sur le départ « cours ton premier kilomètre à l’allure où tu voudrais courir ton dernier ».
Week end de Pâques je suis inscrite à la Full Moon Trail une course dans l’esprit de la saintélyon, le froid en moins entre Aix et Marseille et qui démarre à minuit. Un profil assez roulant 70 km pour 1800m de dénivelé. Pour la première fois je vais courir de nuit avec une frontale et en plus cette course me donnera les points pour la Diag. C’est ma deuxième plus grosse distance après l’écotrail 80 km de l’année dernière. Cette fois ci je pars à l’allure qu’il faut. C’est la deuxième édition de cette course à taille humaine et je dois dire qu’être accompagnée toute la nuit par la pleine lune et voir le soleil se lever sur Marseille c’est magique !
En préparation de la Diag, j’ai fait le choix de ne pas me mettre trop de courses chronométrées qui me semblent usantes mentalement et pour lesquelles on peut mettre du temps à s’en remettre physiquement. Ma deuxième et dernière course longue est la Maxi Race à Annecy fin mai. Il s’agit de 89 Km et 5000 m de dénivelé, une sorte de mi distance par rapport à la Diag. Ayant déjà les points nécessaires, je la fais sans pression et sans bâton pour que les conditions soient les plus proches de la Diag. C’est également l’occasion de tester des barres car manger régulièrement est également quelque chose que je dois acquérir. Toute la montée du Senmoz se fait avec Sam ce qui est une grande aide psychologique. Je fais une première partie de course un peu rapide en moins de 8h et décide de calmer le jeu à Doussard (en m’arrêtant trop longtemps au final 1h15) et en ayant un rythme nettement plus tranquille sur la deuxième partie. Je découvre la barre Holyfat qui donne un vrai coup de boost et à part un coup de moins bien après Doussard mais qui passe assez rapidement, la course se déroule plutôt bien. J’apprivoise aussi le dénivelé qui est l’un de mes sujets sur lequel je dois travailler car à la base j’aime beaucoup les descentes mais suis à la peine sur les montées où je me fais doubler régulièrement. Avec Thibault, on se dit que près de 18h de course c’est déjà très long !
La préparation pour la Diag connait une accélération entre mi juillet et mi septembre. Le travail de renforcement de Guillaume et du coach Julien produit ses effets auquel s’ajoute le week end choc de Belledone avec Nathalie, Antoine, Saadia, Julien, Céline et Pierrick fin juillet. Le terrain est ultra technique, les 3 jours sont intenses, Pierrick me donne plein de super conseils et j’apprends énormément au contact de tous. Ce week-end me fait vraiment franchir une étape. Je découvre également un super spot d’entrainement près de chez moi, les escaliers de la tour Effeil ! C’est beau, c’est ludique avec les touristes qui vous communiquent leur bonne humeur et rapport temps / dénivelé il n’y a pas mieux ! Au mois d’aout je complète ma préparation avec des vacances au pays basque où je fais beaucoup de randonnée en écoutant des podcasts. Un bref passage au GRP sur une course annulée au bout de 1h40 pour cause de mauvais temps rattrapé par un autre week end choc début septembre me permettent de constater que j’ai progressé physiquement et surtout les montées ne me semblent plus aussi laborieuses qu’avant. Une dernière journée à Chambéry avec les copains fin septembre achèvera cette préparation.
Au-delà de la préparation physique, je me dis très tôt qu’il faut me préparer mentalement. A posteriori, le mental sur une course aussi longue c’est 50% de la course à mon sens. C’est acquérir cette confiance en soi dans la capacité d’aller au bout tout en restant à l’écoute de ses sensations. Au fur et à mesure que le temps passe, j’ai envie d’y être. Je prends la diag non pas comme une course mais comme une aventure où l’objet va être de se découvrir dans un contexte hors norme. C’est aussi une fierté grandissante « d’avoir osé » s’inscrire, de mesurer le chemin parcouru. J’ai aussi relativisé l’échec potentiel en me disant que ne pas terminer, ce n’est pas grave, mes proches seront déçus pour moi c’est tout. Pendant mes vacances, j’ai un super livre de chevet emprunté à la bibliothèque « la PNL pour les nuls ». Les mécanismes du cerveau m’ont toujours intéressée mais ce livre agit comme un guide pour se poser les bonnes questions et mettre des intentions positives.
En parallèle, je continue ma préparation minutieuse qui me donne de la sécurité mentale : je vois des videos de gens qui montent et ont l’air contents, des videos de coureurs sur la diag pas les champions mais ceux qui ont mis 50-60h et qui racontent la diag de l’intérieur, j’écoute des podcasts de trailers mais aussi d’aventuriers ou de parcours de vie inspirants, de philo (excellent podcast sur le désespoir dans l’émission de charles pépin sur France inter avec andré comte sponville), je lis le très beau livre de Jean-Louis Etienne, l’explorateur des pôles, juste avant de partir « Persévérer ». J’essaie de penser aux plans B : - qu’est ce qui se passe si je ne finis pas ? (voir plus haut) – Qu’est ce qui se passe si je me perds ? Une de mes grandes craintes vu que je n’ai aucun sens de l’orientation. Pour cela je me suis rachetée une nouvelle garmin après Belledonne qui a beaucoup plus d’autonomie que la précédente et je m’entraine à suivre des traces de parcours – le sommeil ? pas d’expérience véritable à part une petite sieste salutaire sur la maxi race mais je pars avec l’idée que je dormirai sans attendre 24h ou 30h.
Je regarde également des temps de coureuses de l’année précédente et par je ne sais trop quel calcul j’en viens à la conclusion que je prendrais comme temps de référence 54h même si l’objectif est de finir et que le temps n’a pas d’importance. Ces temps me permettront de me donner des ordres de grandeur entre les ravitaillements et de calculer l’eau à prendre et la nourriture à emporter.
En arrivant à la Réunion, je suis sereine, l’accueil est top, il fait beau, l’endroit est paradisiaque. Ces quelques jours pré course sont un bon sas de décompression et une acclimatation en douceur à la chaleur. Christophe mon mari a fait un groupe whatsapp avec les copains qui envoient plein de mots d’encouragement. Le mardi soir, soit 2 jours avant la course, je décide de ne plus lire un mail en provenance du bureau, histoire d’être dans ma bulle et d’éviter de potentielles ondes négatives. Le jeudi matin, je découpe le parcours de la diag dans l’une des revues et entre chaque ravitaillement j’inscris la durée estimée sur la base de ces 54h et le nombre de litres d’eau à prendre. Ce petit papier que je mets avec mon téléphone me servira de guide tout au long de la course. C’est à peu près la seule chose que je regarderai.
Le départ est maintenant dans quelques heures, nous arrivons sans encombre à Saint Pierre et regardons le coucher de soleil sur la plage. Christophe m’a apporté une barquette avec du riz et des légumes. Pas dingue mais je suis un peu parano sur la nourriture, ayant entendu plusieurs récits de coureurs ayant été malades pendant la course à cause de fruits mal lavés ou de nourriture mal digérée. Nous sommes un peu tous disséminés dans les vagues de départ: en 1 Nathalie, Antoine, Pierrick. Je suis en vague 2 avec Saadia, Guillaume et Julien. En vague 3 Thibault. En vague 4 Yasmine et Céline. Saadia me répète de bien manger régulièrement, elle me connait et je garde son conseil à l’esprit tout au long de la course ! L’ambiance est incroyable, on retrouve quelques km après Julien et Christophe qui nous encouragent et c’est parti. Des chants, des danses et tous ces enfants à qui l’on tape dans la main c’est magique. Je vais retrouver Christophe à Notre Dame de la Paix dans 7h environ. Le fait de le savoir présent tout au long de la course est une grande aide psychologique. Le début passe vite et ce sont ensuite les premiers bouchons. Immobile, je change mon T shirt, me couvre et mets des gants. Même s’il fait beaucoup moins froid que l’année dernière, j’ai en mémoire le récit de Ben qui avait fait une hypothermie en se couvrant trop tard et je ne voudrais pas me refroidir trop vite ! Après Notre Dame de la Paix je rattrape Guillaume qui a eu un début compliqué, maux de ventre, fatigue. Je suis bien contente que l’on fasse un bout de chemin ensemble. Nous décidons tous les 2 de dormir à Mare à Boue, c’est notre première micro sieste au bout de 10h de course, ce qui est plutôt tôt par rapport aux autres coureurs. Cela fait un bien fou ! La micro sieste de 15 mn c’est la grande découverte de la Diag, j’en ferais 6 au total (Mare à Boue, Cilaos, après Marla, Sentier Scout, 2 Bras, Possession) et grâce à cela pas de problèmes de sommeil, pas d’hallucinations (une autre de mes craintes) sauf très légères sur la toute fin où j’ai vu quelques peintures sur les pierres ou le dos de coureurs se transformer en personnages dansants.
A Cilaos, je retrouve Christophe. Le temps passe vite sur la base vie entre les allers / retours douche / ravitaillement / récupérer son sac / sieste / refaire son sac. Christophe m’apporte de la tisane qui me fait beaucoup de bien et je me masse les jambes avec mon super Compex. Au final je m’arrête 2h. J’ai l’impression d’avoir pris trop de temps mais je me rends compte que ses deux heures ont été salutaires car mon cerveau s’est complètement mis en mode pause de cette première partie. J’ai l’impression de repartir sur une nouvelle course. La montée du Taïbit est régulière et la tisane ascenseur « que des plantes ! (sic) » fait son effet. Juste en arrivant à Marla mon pied dans la descente se prend dans une grille, heureusement c’est le seul moment où j’ai mis un pantalon qui se déchire à un genou mais me protège, plus de peur que de mal !
A Marla, je vis un moment assez incroyable hors du temps où quelqu’un de SFR me dit « vous avez un message ». Me voilà au milieu de la nuit en train de regarder la video que Pierrick et Céline ont enregistrée ! C’est super émouvant, tellement attentionnés de leur part et encore une fois que du bonheur que je m’emmagasine.
Avant Roche des Merles, comme on me dit qu’il n’y a pas de lit au ravitaillement je décide de dormir dans la forêt. Il se trouve que je dors juste avant un embranchement avec le trail du Bourbon que j’emprunte par mégarde avec quelques trailers qui m’emboitent le pas. Après une montée bien technique de 20/25 mn, je croise providentiellement un bénévole qui nous demande ce que nous fabriquons ici. Il nous guide pour le retour mais dans la descente j’ai un coup au moral : 40 mn de perdu et une montée et une descente en plus comme s’il n’y avait pas assez de dénivelé ! Heureusement je me reconcentre assez vite sur la suite et l’atteinte de la prochaine étape. Je pense qu’au fond de mon cerveau j’avais intégré la possibilité de me perdre et finalement je ne suis pas plus déstabilisée que cela. Tout au long du parcours je ne pense jamais beaucoup à la fin mais dans ma tête il s’agit de cheminer d’un ravitaillement à un autre avec un ordre de grandeur des temps entre deux points mais sans pression de chrono. Ayant trouvé finalement les 2h de pause bénéfique à Cilaos, je me dis que je ferais la même chose à Deux Bras quand je retrouverai Christophe. Entre temps le soleil se lève sur Roche Plate, c’est magnifique mais il commence à faire vraiment très chaud sur cette partie. Je m’immerge complètement dans la rivière des Galets lors du passage dans l’eau ce qui fait un bien fou. Autour de moi, certains trailers viennent à manquer d’eau. J’ai pris ce qu’il fallait mais ric rac. Je retrouve Christophe à 2 Bras et là même rituel, sieste, tisane… Sur les ravitaillements à part de la soupe au vermicelle je ne prends pas grand-chose, sauf une crêpe qu’une famille a faite mais je préfère rester sur mes barres et mes compotes que je connais. Ma montre se décharge avant 2 Bras tout comme mon téléphone sans que je réagisse mais je pense que mon cerveau a considéré que recharger son téléphone était un geste non essentiel. Toute la course, je la passe dans ma bulle, dans un état quasi méditatif. Je suis bien, très sereine et à part une ou deux ampoules au pied. Après Deux Bras, j’entame la montée de Dos d’Ane avec un réunionnais. Il me fait part de ses problèmes avec son voisin un métropolitain qui n’aime ni les combats de coqs ni le tam tam à l’aube. Son fils le rejoint au milieu de la montée avec un assortiment de boissons coca, fanta qu’il me propose. Encore une fois, je suis frappée par cet accueil et cette gentillesse réunionnaise mais je préfère garder le rythme plutôt que de m’arrêter au milieu de la montée. C’est la façon dont je fonctionne, des pauses assez longues au ravitaillement mais en revanche pas d’arrêt dans les montées ou descentes où je garde mon rythme sauf pour récupérer des affaires dans le sac. Les scènes de coureurs épuisés qui dorment dans des endroits improbables se multiplient. Sur les montées je fais des analogies avec des terrains que je connais comme le GR20 où quand il y a 900 de dénivelé je me dis « c’est comme la Rhune ». Après Dos d’Ane que je croyais être la dernière grande difficulté, la montée du Chemin Ratinaud me surprend surtout qu’il fait extrêmement moite et je ne suis pas loin du coup de chaud. J’accélère ensuite en descente si bien qu’à La possession j’arrive 15 mn avant Christophe. Je fais une sieste en l’attendant et je prends mon temps quand il est là en restant au final 40 mn. La barrière horaire est loin et le temps ne doit pas être facteur de pression. J’entame le chemin des anglais, c’est long et monotone, il fait encore chaud même si le soleil est couché. A la montée du Colorado, je discute avec un couple sur le trail du Bourbon. On finira ensemble et on les ramènera même à Saint Leu, une option plus sympa pour eux que d’attendre la navette à 5h du mat après 30h sans dormir! Les 5km de la descente du Colorado passent lentement surtout que je fais attention ne voulant pas me fouler la cheville sur la toute fin. L’arrivée sur le stade est magique, je retrouve Christophe et cela y est je passe cette ligne d’arrivée tant de fois imaginée !
Cette Diagonale a été incroyable, cela a été un moment hors du temps, j’ai du mal à réaliser que j’ai passé 53h25 dehors. J’ai savouré chaque moment, très sereine et plutôt en forme physiquement à l’arrivée. La présence de Christophe, les encouragements de mes filles (en particulier la carte de Daphné que j’ai ouverte dans l’avion et qui n’était jamais très loin dans mes pensées) et des copains m’ont portée ainsi que toute la team Xrun. S’entrainer ensemble, partir à 15 et vivre ces 10 jours intensément, ce qui a été l’aboutissement de plusieurs week end, de nombreux échanges, et de beaucoup de fous rires a été une aventure extraordinaire.
Le plus important c’est le chemin mais encore plus c’est le premier pas : tenter, oser, sortir de sa routine et faire des projets avec les gens que l’on aime.
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